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Bendt Eyckermans : un jeune artiste déjà au sommet

Par Hilde Van Canneyt, traduit par Chloé Bracaval
27 février 2020 7 min. temps de lecture

Malgré son jeune âge, l’artiste flamand Bendt Eyckermans (° 1994) a déjà quelques expositions personnelles à son actif, et des collectionneurs du monde entier convoitent ses œuvres. Ce succès n’empêche pas le peintre anversois de garder les pieds sur terre. Bendt Eyckermans est conscient d’avoir encore beaucoup à apprendre. «Selon moi, il est important, en tant qu’artiste, d’avoir connaissance de tout ce qui vous précède.»

Est-il vrai que vous n’aimez pas parler de vos œuvres? Car si c’est le cas, nous nous trouvons face à un problème.

Bendt Eyckermans: «Non, je parle volontiers de mes œuvres et de ma manière de peindre, mais pas des significations plus profondes qui devraient se cacher derrière. Il est important, à mes yeux, de ne pas trop mâcher le travail pour le spectateur. J’espère pouvoir stimuler son esprit, afin qu’il forme lui-même les associations et qu’il crée sa propre histoire. Mon langage pictural est en lui-même déjà très explicite. Il ne s’agit pas là de grandes énigmes.»

Quelles créations vous ont façonné pendant votre jeunesse?

«Les œuvres de ma famille m’ont évidemment influencé dès le premier instant, mais ce n’est pas avant mon 8ème ou 9ème anniversaire que j’ai pris conscience qu’il s’agissait d’objets et d’œuvres d’art uniques. La première «œuvre» qui a éveillé mon intérêt, c’est moi qui l’ai réalisée. À l’école maternelle, notre professeur nous avait demandé de reproduire des œuvres. Je me souviens d’avoir recopié Permeke au fusain sur un papier de couleur. Je possède encore ce devoir. Je me rappelle toujours la fascination que j’éprouvais pour ce que j’étais en train d’imiter: principalement pour la reproduction des énormes mains et pieds que Permeke avait dessinés, et, en particulier, le plaisir que j’éprouvais à réaliser cette tâche. Cet exercice m’avait à la fois profondément touché et façonné.»

Vous avez grandi au milieu des tableaux sculptés de votre père et de votre grand-père. Vous travaillez également dans leur ancien atelier. Il est encore rempli de leurs travaux. C’est un héritage dont vous ne pouvez pas facilement vous détacher. Quand avez-vous consciemment choisi l’art?

«À 16 ans, j’ai intégré l’école d’art dans l’espoir de pouvoir améliorer mes dessins. Je pensais aussi pouvoir jouir de plus de liberté là-bas. Contrairement à mes précédentes écoles, je m’y sentais à l’aise, et c’est en grande partie grâce aux personnes que j’ai rencontrées.»

Pourquoi ne pas avoir opté à l’âge de 18 ans pour la sculpture à l’Académie d’Anvers? Par amour pour la couleur et l’aspect bidimensionnel ou parce que vous estimiez que poursuivre le travail de votre grand-père sculpteur était excessif?

«Avant d’entrer à l’Académie, j’avais du mal à saisir l’emploi de la couleur. Je faisais souvent des dessins aux teintes très graphiques. Et je ne comprenais tout simplement pas la peinture. À l’Académie, en observant la manière dont les vieux maîtres appliquaient les couleurs, j’ai un jour appris comment, en choisissant les bons coloris, je pouvais transformer une esquisse en un ensemble agréable, en une composition qui mêle couleur et forme.»

Pendant vos études, étiez-vous déjà intéressé par la peinture du XXe siècle? Ou cet intérêt n’est-il né que par la suite?

«L’art de l’entre-deux-guerres et celui d’après-guerre, en particulier le modernisme pratique, sont des courants qui me parlent énormément depuis le début. J’en ai tiré beaucoup de leçons et j’ai beaucoup de respect pour ces artistes, car ils donnaient un excellent reflet de leur époque. La pratique de ces mouvements a constitué un exercice très inspirant. Grâce à l’Académie, ma palette de goûts en matière de courants artistiques s’est beaucoup diversifiée. J’ai fait la connaissance de Jean Brusselmans, dont la technique m’a appris à peindre en pleine pâte. Il m’a «enseigné» les différentes façons d’appliquer la peinture, l’usage de ses pinceaux en fonction de leur forme, et comment peindre un corps de manière géométrique.»

Je reconnais dans votre travail l’influence du Gantois Octave Landuyt, mais également d’artistes moins connus, comme les frères Floris et Oscar Jespers. Vous étudiez les techniques des anciens maîtres, jusqu’à Rubens, pour renforcer votre propre langage pictural.

«Selon moi, il est important, en tant qu’artiste, d’avoir connaissance de tout ce qui vous précède. Grâce aux œuvres de mon grand-père, j’ai appris comment former un nez ou une bouche. J’aime intégrer la sculpture à la peinture. On croit souvent à tort qu’il est nécessaire d’adopter cette mentalité avant-garde des années 70 et d’être radical. Mais l’art se doit d’être le contraire. Pour moi, une oeuvre en devient vraiment une quand elle quand elle stimule l’esprit d’une personne, quand elle la pousse à réfléchir et quand elle vit dans les pensées et l’imagination d’un individu. Une création ne devient pas une œuvre d’art simplement parce qu’elle est achevée. Je peux tout aussi bien laisser mes travaux dans mon atelier, mais ils n’y seront d’aucune utilité pour le monde.»

Vous peignez des scènes de la vie de tous les jours, des personnages basés sur les personnes qui partagent votre vie. Ils sont parfois appelés des anti-héros. À travers vos tableaux, on en apprend davantage sur votre famille, sur vos amis, mais également sur vous. Parmi les caractéristiques typiques de vos personnages figurent un regard introverti, une sorte d’espace confiné, parfois une brume bleue et froide qui les entoure.

«Je fais aussi bien appel à mes amis qu’à des mannequins. Ce ne sont en réalité pas des portraits d’eux que je réalise. Les personnages représentés dans mes œuvres ne sont que des figurants qui participent à la création de l’image. Mes œuvres portent souvent sur l’atmosphère et les sentiments, j’irais jusqu’à dire sur le Zeitgeist de ma génération. J’apprécie également de pouvoir travailler sur des sujets qui présentent un aspect problématique, qui portent en eux quelque chose de passionnel ou d’agressif.»

Vos œuvres sont-elles une composition d’images? Comment entamez-vous une œuvre?

«Je prends des photos de différents moments ou d’amis à qui je demande de venir poser dans mon atelier. Puis je crée une construction pour mettre en scène la lumière. Les choses telles que le fond ou le lieu où le personnage se trouve, je les imagine. Je m’appuie sur les photos pour les aléas que je ne parviens pas à imaginer, tels que les plis d’une chemise. Certains éléments revêtent un aspect symbolique.»

Vous avez dit plus tôt qu’un tableau ne devait pas être plein de significations. Les œuvres abstraites ne sont-elles, dès lors, pas de votre goût?

«Aucune idée. Ne jamais dire jamais. Mais pour le moment, je n’en tirerais aucune satisfaction. En matière de peinture, il est possible de concevoir des choses intéressantes. Nul doute qu’il existe des peintres qui réalisent de magnifiques œuvres abstraites. Je citerais notamment Cy Twombly qui a confectionné de délicats tableaux dont la sensibilité me fascine.»

Où puisez-vous le plus d’inspiration chez les autres peintres?

«Tout dépend du peintre. Cependant, quand je regarde un tableau, je cherche toujours à savoir comment la peinture a été appliquée, et j’analyse l’emploi de la couleur. On voit tout de suite si une personne a travaillé avec une palette intéressante. De plus, j’aime voir comment les hasards ont dirigé une création ou la manière dont un élément touche la corde sensible parce qu’il se situe à l’endroit idéal.»


Pensez-vous que la créativité engendre une forme de souffrance?

«Tout le monde fait parfois face à un jour ‘sans’. À mon sens, ce n’est pas grave si je me rends de temps en temps à l’atelier et que je me contente de m’asseoir sur le fauteuil afin de lire ou de réfléchir. Je profite de ce moment pour méditer, prendre de la distance, développer ma pensée et pour parvenir à de nouvelles idées. J’ai besoin d’avoir une sorte de structure et de me rendre à des moments déterminés à mon atelier. C’est une sorte de point d’appui. Si je ne le fais pas, cela a un impact négatif sur mes pensées.»

Cherchez-vous par le biais de vos œuvres à transmettre un message social?

«Non. Je ne pense pas que je puisse résoudre des problèmes sociaux en les incorporant dans mes tableaux. Pour être honnête, je trouver assez prétentieux de penser que l’on puisse améliorer le monde avec une toile. Je ne connais aucun peintre qui se sente obligé de formuler une critique politique ou sociétale. Je me préoccupe de mon propre univers, des gens que j’aime et de ce qui m’intéresse. De plus, je trouve passionnant de travailler sur l’histoire qui entoure le passé familial.»

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Hilde Van Canneyt

journaliste spécialisée en art

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